Pourquoi « game jammer » ? La game jam entre outil d’apprentissage, d’entrée dans l’industrie et d’expérimentation par Margot Blanchard.
Écrit en décembre 2017 dans le cadre du DESS en design de jeu.
Ce n’est que très récemment que j’ai appris ce que signifiait game jam. Juste après l’incubateur Pixelles, je discutais avec une des mentors, et une d’elles m’a précisé que si le design de jeu m’intéressait, je devrais faire une game jam. À l’entendre parler, c’était autant un moyen d’améliorer mes jeunes compétences que de rencontrer des personnes ; faire ces fameux contacts tant nécessaires pour entrer dans l’industrie. Maintenant que j’ai fait ma première game jam, GAMERella[1], il est intéressant de faire le point. Entre-temps, j’ai aussi fait du bénévolat pour jamNATION[2]à deux reprises aux Chalets et au Casino de Montréal. Dans ce compte-rendu, je souhaite autant réfléchir sur les atouts, mais également le sens de cette pratique en plein essor, presque devenue un passage obligé pour un ou une étudiante. À travers mon expérience et une recherche, j’essayerais de réfléchir sur la pertinence des game jams sous différents aspects techniques mais aussi sociaux.
Dans une première partie, j’aimerais revenir sur le sens premier des game jams. D’où vient cette pratique récente ? Quels étaient les objectifs pour ces premiers jammeurs et jammeuses ? Dans un second temps, la question du game jam comme outil d’apprentissage sera explorée. Pour finir, on s’intéressera à cette activité sous l’angle du réseautage ou moyen d’entrée dans l’industrie.
Débuter sur l’historique et l’étymologie des game jams me semble pertinent pour comprendre l’intention première de cette activité. Une game jam est un « hackathon »[3] transposé à la création de jeu vidéo. C’est un regroupement de personnes dans le but de planifier, désigner et créer un jeu dans un laps de temps précis, souvent entre 24 et 72 heures. Le terme « jam » a pour origine la jam en musique. On retrouve d’ailleurs la même idée d’expérimenter avec d’autres créateurs et créatrices sans avoir une préparation préalable. L’expérimentation et la collaboration sont les éléments-clés. La première game jam a eu lieu en mars 2002. Le 0th Indie Game Jam est créé par Chris Jecker et Sean Barrett. Le courriel d’invitation nous permet de saisir leur démarche :
The Concept: we get a group of creative game programmer-designers together at my office […] in Oakland, CA for 3 or 4 days, give them an already-written « game engine » […] and let the insanity begin. The hope is that people will be able to do incredibly strange, wacky, and most importantly, _different_ games when the codebase is already done and the core technology is slightly strange and new in the first place.[4]
L’idée est de proposer un environnement où la création et l’expérimentation sont reines. L’année 2002 marque l’organisation ensuite du Ludum Dare, la première game jam virtuelle (en ligne). Par la suite de nombreuses autres game jams vont voir le jour dans le monde : le Nordic Game Jam (maintenant un des plus gros game jam au monde) à Copenhague. Le Global Game Jam est lui créé en 2008. Au même moment, plusieurs game jams ont lieu partout, y compris à Montréal. L’article de Sande Chen nous a permis de situer les grands points et les repères chronologiques[5]. Cette histoire très récente mériterait d’ailleurs une plus grande exploration.
D’ailleurs cet article de Sande Chen est une introduction à un Guide qui vise les enseignants et enseignantes. Ce n’est pas un hasard. Très rapidement, le potentiel pédagogique de la game jama été repéré. La game jam n’est plus seulement un moment d’expérimentation pour des créateurs et créatrices confirmées. Elle devient un moment avant tout d’apprentissage, particulièrement pour les étudiants et étudiantes. It’s clear why educators often recommend that aspiring game developers attend game jams.
Not only do the events foster creativity, collaboration, and community, but they also instill the fast prototyping and iterative design culture found in many game companies. Participants learn the lessons of « failing early » in order to perfect a game. They must work with teammates within a time constraint and are exposed to a diverse set of skills and personalities. They come face to face with production realities, which force them to decide which game features remain or must go. There may not be any monetary gain from game jams, but the entire experience of completing a game and learning from others may be priceless. [6]
Cette analyse de Sande Chen s’accorde tout à fait à mon expérience lors du GAMERella. En prenant le rôle de programmeuse, j’ai amélioré tout d’abord ma compétence technique de programmation sur Unity. Mais mon plus grand apprentissage fut en termes d’organisation du travail et du choix des priorités. On améliore ce fameux « instinct » qui permet de prendre la bonne décision pour résoudre un problème. L’aspect social, comme précisé par Sande Chen, est effectivement aussi important. Dans mon cas précis, j’ai pu entrevoir une certaine réalité du rôle du programmeur ou programmeuse dans une équipe. Vu qu’on doit intégrer le travail de chacun, beaucoup de travail repose sur nos épaules. Le ou la programmeuse a le dernier mot sur ce qui va rentrer, ou surtout peut rentrer dans le jeu. Mais en même temps, il ou elle souhaite le plus possible intégrer le maximum de l’apport de chacun et chacune. Ce jonglage permanant est très stressant et peut poser des problèmes de communication avec les autres membres de l’équipe. Savoir dire « non » devient important. En expérimentant ce rôle, je pense mieux comprendre les programmeurs et programmeuses. D’ailleurs, savoir communiquer avec d’autres corps de métier me semble être une des premières qualités du designer de jeu et doit donc être développé.
Dans cette dernière partie, je voulais également aborder la game jamcomme un outil de réseautage et d’entrée dans l’industrie. Être présent en tant que bénévole ou participant à des évènements où se concentrent des personnes du milieu du jeu est toujours une bonne occasion pour se faire des contacts. Les game jamsn’échappent pas à cette logique. Par contre, la particularité de cette activité est que créer un jeu avec des personnes peut accélérer la mise en place d’une relation de confiance et de travail avec ces dites personnes. Être un ou une mercenaire à jamNATION dans une équipe d’un studio est une occasion parfaite pour prouver qu’on a bien les compétences techniques et sociales pour potentiellement devenir un ou une employée de ce studio. La game jamdevient alors un moyen, non plus pour expérimenter ou apprendre, mais pour rechercher un emploi. Il peut être également un outil pour créer des pièces de portfolio, éléments cruciaux pour l’entrée dans l’industrie. Faire une game jampeut également mener à la création d’un studio. C’est le cas de Keep Talking and Nobody Exploses du studio Steel Crate Games. Lors du Canadian Gaming Expo (CGX) de 2017[7], Ben Kane, un des fondateurs a raconté le processus de création de son studio. Le point de départ de leur studio est une game jam à Ottawa. Bien entendu, jamais Ben Kane n’aurait imaginé que cette game jamallait le mener aussi loin plusieurs années plus tard.
Pour conclure, je vais reprendre librement la conclusion de la conférence préparatoire du GAMERella de Tanya Shortt, co-fondatrice du studio Kitfox. On peut avoir de nombreux objectifs en tête lors d’une game jam : expérimenter une mécanique de jeu ou une technologie, souder une équipe, améliorer son portfolio… L’important c’est que cet objectif soit clair et connu de tous les membres de l’équipe. Chaque game jampeut avoir l’impact et la direction que l’on se donne, qu’il soit éducatif, exploratoire ou relié à notre intégration dans l’industrie. Il n’y a pas de « meilleur » objectif et les objectifs ne s’annulent pas entre eux.
Par contre, je pense qu’il est intéressant de se questionner sur les objectifs que se donnent les game jams elles-mêmes. De la première game jamréservée uniquement à des développeurs de jeu vidéo, il existe maintenant toute une constellation de game jams déclinées sous une multitude de formes : jamNATION (réservé à des professionnels et professionnelles qui payent un service), l’Ubisoft Creative Jam[8](réservé aux étudiants et étudiantes) ou le GAMERella (réservé aux personnes discriminées) et d’autres…
Si les jammeurs et jammeuses d’aujourd’hui s’éloignent de l’idée du « do incredibly strange, wacky, and most importantly, _different_ games », est-ce problématique ? Car finalement, faire une jolie pièce de portfolio semble être l’inverse même de l’idée de la première game jam en 2002. Est-ce qu’imposer des game jams dans le parcours des étudiants et étudiantes est-il pertinent ? L’UQAT à Montréal a mis en place une game jam interne par exemple pour ses étudiants et étudiantes. Selon moi, étudier ce phénomène nous amènerait au delà de la problématique du respect de la vision de la game jam historique. Nous sommes juste aux balbutiements de la game jam en tant que pratique culturelle. Nous ne pouvons qu’entrevoir les possibilités qu’offre cette activité. De la même manière que le hackathon peut ouvrir une nouvelle voie pour designer, penser et créer, comme le propose Juliana Alvarez dans sa thèse[9], la game jam a une possibilité d’impact similaire à explorer.
[1]GAMERella est une game jam organisée par le TAG à Concordia. C’est une gam jamqui souhaite offrir un meilleur accès à des personnes moins représentées (femmes, personnes de couleur, personnes transgenres…).
[2]JamNATION est Une ligue de game jamsorganisés pour des studios.
[3]Un évènement où des programmeurs et des programmeuses collaborent en équipe sur des projets informatiques, comme du développement de logiciels.
[4]Le courriel d’invitation est disponible en ligne.
[5]Disponible sur le site de Gamasutra, sa brève histoire a été originellement publiée en 2017 dans un ouvrage The Game Jam Guide de Sara Cornish, Matthew Farber, Alex Fleming, Kevin Miklasz. Cet ouvrage réfléchit sur l’activité game jam à des fins pédagogiques. Les auteurs proposent un guide pour les enseignants er enseignantes afin d’incorporer le design de jeu dans l’enseignement auprès d’enfants. Le lien de l’article est disponible.
[7]Voir leur site web pour plus d’information :
[8]Les informations sur ce game jam est disponible sur son événement Facebook.
[9]Juliana Alvarez, Vers le Design hacké : la nécessité́ d’une nouvelle posture épistémologique, thèse de doctorat en Aménagement, Université de Montréal, 2017.